L'homme qui rit


Chaque dimanche, La Presse publie un article qui traite de L’épidémie invisible . Ces textes me touchent particulièrement en tant que parent. Les préjugés rattachés à la toxicomanie m’ont longtemps isolée. Plusieurs personnes croient que les traitements fondés sur l’abstinence pure et simple sont LA solution la plus efficace pour soigner les dépendances.  Pour mon fils cadet, ce fut l’approche de la réduction des méfaits qui a porté fruit. 

 L'autre jour, je l'ai invité à regarder mes toiles et à porter son choix sur l'une d'elles. L'homme qui rit a remporté les honneurs, témoignant de l'enfant joyeux qu'il était. Aujourd’hui, la lumière est revenue dans sa vie. À la lecture de ce billet, il m’a dit : « Si ce texte peut servir pour en aider d’autres, j’en serais très heureux ».

Quand un proche vit des problèmes de toxicomanie, cela impacte son entourage immédiat. Mon fils consommait pour calmer son anxiété. Moi, je m’étourdissais dans un milieu travail toxique avec pour résultante un épuisement professionnel. Je viens d’une famille dysfonctionnelle, dont les deux parents étaient dépendants, l’un à l’alcool, l’autre aux médicaments. C’est ainsi que dès la petite enfance, j’ai développé mes habiletés de codépendantes, de sauveuse. 

Pour moi, deux événements ont été marquants. Le premier a eu lieu aux prémices du printemps 2018. Mon fils n’allait vraiment pas bien. Je connaissais ses habitudes de consommation croyant qu’elles se limitaient au hasch. J’étais en désaccord avec celles-ci. J’aurais pu lui signifier la porte, mais mon psy me le déconseillait, me rappelant l’importance de maintenir le lien. 

Pendant quelques jours, il avait des absences. Celles-ci s’accompagnaient de spasmes corporels, cela m'inquiétait. Je l'ai amené à l'urgence. Pendant les cinq heures qu’a duré l’attente, mon fils a eu trois absences avec des spasmes, sans aucune intervention du personnel. Ils étaient débordés. J’ai dû insister pour une prise en charge. 

Il fut déplacé en psychiatrie, où quelques intoxiqués patientaient. Finalement, une porte s’est ouverte, un interne nous a reçus. Mon fils a accepté ma présence. Au fur et à mesure, je découvrais l’étendue de sa consommation : cocaïne, speed. Je voulais disparaître. Je me sentais coupable de mon aveuglement. Son thérapeute connaissait la profondeur de son mal et ne m’avait rien dit. Je sais, confidentialité oblige.

Quand le psychiatre est arrivé, il a consulté les notes au dossier de l’interne. De façon très condescendante, il lui a remis une brochure pour un centre de désintoxication et est reparti. Abasourdie, j’étais repliée sur ma chaise avec la nette impression que le sol se dérobait sous mes pieds. En sortant de la salle, il a eu une autre absence accompagnée de spasmes. Une infirmière s’est approchée, a avisé le psychiatre de la situation. Celui-ci a refusé d’intervenir. J’étais tétanisée. 

Un soir, les policiers sont venus reconduire mon fils m’informant  qu'il était en pleine psychose toxique. Le lendemain, mon fils s’enfonçait davantage, furieux que j’aie rapporté les clés de sa voiture de location considérant qu’il était un danger pour lui et les autres. Il m'en a fallu du courage pour poser ce geste. C’est après cette intervention qu’il a quitté la maison. Durant les semaines suivantes, il a poursuivi sa descente aux enfers. Mon fils si poli m’écrivait des propos orduriers. J’avais mal à mes entrailles.

Quelques mois plus tard, en août, mon téléphone a sonné. Je revenais d’un dîner le cœur léger. Au bout du fil, une inconnue m’informe que mon fils est à l’urgence en arrêt cardiorespiratoire. Tout est devenu embrouillé. J’ignore comment j’ai pu me rendre à l’hôpital. Une fois arrivé dans la salle de choc, mon fils était agité, inconscient de la situation. Il avait avalé ses vomissures. En état de psychose, il cherchait désespérément ses lunettes et son portable. Je me suis mise en retrait pour éviter de le stimuler. J'étais anesthésiée. Ce soir-là, j'étais encore seule pour affronter son désespoir.

Durant la soirée, il fut transféré aux soins intensifs, en observation. Toute la nuit, je suis restée à ses côtés, lui replaçant constamment l’appareil mesurant sa saturation et l’oxygène sous son nez. Pendant ce temps, je m’interrogeais quant à la manière de le soigner et de sauver ma peau. J’ai osé demander de l’aide en m’intégrant dans un groupe de soutien pour les proches dont un parent souffre de dépendance. Ces semaines salutaires me permirent de prendre la pleine mesure de mes comportements de codépendants. Quand ceux-ci refont surface les paroles de l’intervenant me reviennent: c’est un adulte .

Étonnamment, c’était ce que mon fils réclamait, se faire traiter en adulte. Depuis, il a cheminé. C’est un résilient, ce n’est pas un lâcheux comme il dit. Sa consommation n’est plus le sujet de nos rencontres. Oui, il consomme encore. Est-ce que je suis d’accord ? Non. J’accepte que mon rôle consiste à l’écouter, à le conseiller s’il me sollicite et le plus important, à l’aimer. Il serait faux de dire que c’est toujours facile, mais j’ai décidé de me choisir... pas évident lorsqu’on est parent.

Vous ne serez pas étonné que ces articles aient résonné en moi. Le désarroi exprimé par les proches, je l’ai ressenti intrinsèquement. Ce fléau c’est surtout un problème de santé mentale. Quand les ressources adéquates seront disponibles en nombre suffisant, peut-être arriverons-nous à limiter les ravages de cette épidémie silencieuse. Mon fils compte parmi les chanceux qui reçoit un accompagnement thérapeutique, c’est sans nul doute ce qui fait la différence dans sa vie. 

 

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