LES ENFANTS DE CHOEUR- Extrait LES BUTINEUSES

 


Toute jeune fille qui se respecte espère avec fébrilité l’achat de son premier soutien-gorge, ses premières règles et… son premier baiser. Vous savez, pas celui qui effleure ses lèvres, non, celui où les fluides embrasent les langues.

J’ai dû attendre très longtemps un premier bustier, car mes seins sont demeurés au stade de l’enfance. Comme j’ai envié mes amies qui avaient gagné à la loterie de la vie une poitrine bien développée. Mais bon, rien ne sert de s’apitoyer. J’ai eu mes règles à l’âge de treize ans. Tout ce qu’il y a de plus normal. Quant au baiser, laissez-moi vous raconter.

J’ai toujours été de nature très croyante. Le mystique, la prière, penser qu’un être plus grand que soi est l’artisan de la vie. Comme je fréquentais régulièrement l’église et que c’était l’époque du renouveau liturgique, le curé avait décidé de faire des messes à gogo. Il savait que je jouais de la guitare. Il m’a donc invitée à joindre le groupe de musiciens. Parmi eux, il y avait un accordéoniste et sa sœur pianiste.

Je me suis liée d’amitié avec Murielle. Elle habitait à quelques rues de chez moi. Ses parents avaient une entreprise de taxis et six bouches à nourrir. Sa mère faisait figure de proue, car peu de femmes exerçaient le métier de chauffeuse de taxi. Les heures de travail étaient parfois longues. En l’absence de sa mère, mon amie avait charge de la famille avec son frère aîné, Daniel, l’accordéoniste.

L’été de mes quatorze ans, j’ai passé plus de temps chez les Dubé que chez moi, et pour cause. Le beau Daniel me faisait les yeux doux. Il avait une superbe crinière bouclée et une bouche invitante. Cette année-là, il y eut plusieurs partys de sous-sol où nous fûmes invités. L’alcool était absent. Nous étions là pour vivre nos premiers émois, notre première danse collée. Ma plus grande crainte était d’avoir l’air niaiseuse et de ne pas savoir comment embrasser.

Ah! Ces premiers rapprochements, comme ils sont électrisants. Nos cœurs battent la chamade. Que dire de notre maladresse quand vient le temps de positionner nos corps. Plus la chanson avance, plus les mains sont audacieuses. Quelle merveilleuse sensation! Let it be occupe l’espace sonore. Comme le dit si bien le titre : qu’il en soit ainsi. Je sens son sexe gonflé contre mon pubis. Les effluves de son shampoing Herbal Essence me transportent. Doucement, nos visages voyagent vers l’autre, nos bouches se cherchent. Un premier effleurement. Des lèvres qui s’entrouvrent. Elles cèdent le passage à une langue qui veut valser avec l’autre. Je me dis : enfin! Je suis devenue femme. C’est un peu exagéré je l’avoue, mais combien important pour une jeune fille de quatorze ans. Let it be est déjà fini qu’il faut aller se rasseoir. La fête du baiser continue, je suis aux anges. Ce soir-là, je peine à m’endormir imprégnée de mon nouveau bonheur. J’ai un chum!

Nous nous voyons dès que je peux m’éclipser de la maison. Ma mère ne fait pas trop attention, trop heureuse d’être seule. J’aide mon amie Murielle pour les tâches ménagères, les repas. Pendant que les enfants mangent, Daniel et moi nous réfugions dans la chambre des petites. Nous nous allongeons dans un des lits superposés. Cette fois, les baisers sont prolongés, ponctués de quelques arrêts, le temps de reprendre notre souffle. Ses mains se font plus baladeuses; mon corps aime cette chaleur qui m’irradie. 

Un jour, il soulève mon chandail pour partir à la recherche de mes seins. Moment de panique ! Mon soutien-gorge est rempli de papier mouchoir. Gentiment, je détourne ses mains. Fini l’exploration corporelle et sexuelle. Les ardeurs se calment avec le retour à l’école. Notre histoire se termine sans heurts, empreinte de merveilleux souvenirs.

À présent, je suis coordonnatrice d’événements. Nous accueillons des groupes à l’occasion d’anniversaires, de mariages, de funérailles. Un jour, qui vois-je arriver à l’auberge? Daniel. Il est accompagné de ses musiciens. Ils sont là pour le cinquantième anniversaire de mariage de Madame et Monsieur Pimparé. Moi, je le reconnais tout de suite. Il n’a guère changé à l’exception de quelques fils gris qui ornent son imposante chevelure. Étrangement, j’éprouve un grand bonheur avec ces retrouvailles inopinées.

Lui hésite, me regarde longuement de la tête au pied. Cette silhouette qu’il a tant de fois caressée, les lois de la physique l’ont quelque peu modifiée. Il me sourit et dit : « On se voit plus tard ». Cette fois, je n’aurai aucune crainte s’il pose ses mains sur ma poitrine, j’affiche à présent un magnifique 36 C.

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