LE BOUT DE LA LETTRE- Extrait de La racine de l'être
" Quand j’étais enfant, il me plaisait d’être avec les grands à écouter leurs conversations. Une école de la vie qui nourrissait ma curiosité insatiable. Comme j’étais assez sage, les adultes finissaient par ignorer ma présence. J’étais attentive aux intonations, à la voix qui devenait feutrée lorsque le sujet ne devait pas s’ébruiter. Observer, analyser et questionner étaient les principaux axes de ma vie.
Mon premier
voyage dans la région natale de mon père fut très mémorable. Il s’agissait de
mon premier grand voyage, mais aussi de ma première rencontre avec les frères
de mon père, mon grand-père et sa femme. La route pour y parvenir était longue,
poussiéreuse, et la chaleur à l’intérieur du véhicule, accablante. Impossible
d’ouvrir les fenêtres, l’air devenait irrespirable. Pour la jeune citadine que
j’étais, quelle aventure! Je n’avais jamais mis les pieds sur une ferme. Il y
avait des chiens qui me terrorisaient, des poules, des porcs, des vaches et des
chevaux. Ma plus grande découverte vint du fait qu’il n’y avait pas de
toilettes dans la maison ni d’eau chaude et que mon grand-père crachait
fréquemment à terre, enfin, dans le crachoir. Sa moyenne au bâton n’était pas
édifiante et j’étais dégoûtée. C’était sans compter les rubans où les mouches
s’agglutinaient. C’était une chasse très prisée en été.
Heureusement, il
y avait l’affabilité de ma grand-mère, qui me faisait découvrir les petites
fraises des champs, le pain d’érable et la crème fraîche. Assise face à la
fenêtre ouverte vers les champs, je rêvassais, admirant les bêtes, les petites
fleurs sauvages. Le dépaysement était total. Les exilés Pelletier se
retrouvaient le temps d’un week-end. Dans la pièce centrale, les oncles se
racontaient, les enfants du deuxième lit demeuraient perchés dans le haut des
escaliers, admiratifs devant ces grands frères dont leur père vantait les
mérites. Il y avait pourtant une absente.
C’est au cours
de ce séjour que je découvris une tante alors inconnue. Elle avait la même voix
éraillée que mon père et mes oncles, mais en plus, dès notre premier
regard je sentis la tristesse qui l’habitait. J’étais heureuse de découvrir que j’avais
au moins un cousin. J’étais aussi très gourmande. Pain, patate, pâtes
ravissaient mes papilles. Je me souviens que nous avions mangé du rôti de bœuf
avec des petits pois. Agathe me fit découvrir le pain de fesses chaud, fait maison,
ainsi que ces tartes aux petits fruits. Quand nous la visitions, elle nous
recevait avec chaleur et attention. Des années plus tard, quand je fus adulte,
je m’arrêtais la saluer. Nous nous comprenions sans rien dire. Ce sentiment ne
s’explique pas, il est, tout simplement.
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