J'ai souvenir encore

De passage l'autre jour dans le quartier qui m'a vue grandir, je me suis arrêtée là où jadis se dressait la maison d'une famille nombreuse. À ma gauche, de nouveaux condos s'érigeaient à la place d'une ancienne manufacture où je m'exerçais avec mes premiers patins à roues à clé. Vous avez bien lu. Les patins à roues alignées n'étaient pas l'apanage de la classe ouvrière. Malgré les années, je retrouvais mes repères, constatant que ma mémoire était toujours au rendez-vous. Désormais, il n'y a que ma soeur pour qui cet écrit aura la même résonance. 

De ce voyage dans le temps les maisons ont un nom attaché à leur numéro civique. Non, ne cherchez pas une nouvelle signalisation, mais plutôt une empreinte des gens qui ont habité ces demeures. Je me suis souvenue encore... de nos voisins, de la vie de quartier, de mes jeux d'enfants, de ma terreur dans cet escalier mobile où pour descendre, il fallait que notre corps fasse le contrepoids. 

Si certaines façades ont changé, d'autres sont demeurées intactes. Treize années de ma vie. Mes premières petites amies. Line Gravel qui avait un magnifique cerisier sauvage dans sa cour. De sa balançoire, nous jouions à cueillir ces fruits que nous salions pour dissiper l'amertume. Son frère Daniel, un vrai Denis la petite peste avait par un jour de pluie couru derrière moi et glissé dans mon cou une couleuvre alors que dans mes bras, un sac d'épicerie contenant une pinte de lait en verre s'écroulait.

Il y avait les De Tilly dont le père était laitier. Leur fille Ginette jouait à la Barbie avec moi. En fin de journée, monsieur et madame prenaient l'air sur le balcon tout comme mon père. Les Gagné, des gens âgés pour qui mon père faisait de menus travaux. La dame aimait les fourrures, être poudrée et avait une poitrine opulente. Les Coté, Yvette qui fut la coiffeuse de ma mère, la conjointe de mon père et leur fils Richard, beau à damner. À l'âge de 14 ans, alors qu'il était de l'autre côté de la rue, occupée à me pâmer, je me suis mise les deux pieds dans ... le béton fraîchement coulé avec mes beaux Adidas tout neufs.

En remontant la rue en voiture, le nom des familles me revenait. Monsieur Rouiller, dont les chiens guettaient nos allées et venues attendant voir si nous les avions vus pour mieux japper. J'avais une peur bleue des chiens. Les Richard, Nicole la meilleure amie de ma soeur et Roger son frère. Madame Milot, la Française qui cultivait les poires et les prunes.  Et cet immeuble tout à côté du nôtre.

De mon point d'observation, à proximité des condos, j'ai revu cette porte arrière que je franchissais chaque jour pour rejoindre mon amie Martine. Ma petite amie d'Alma, fille unique, pleine de projets comme Fifibrind'acier. Sa mère Ruth trouvait que sa fille lui donnait du fil à retordre. Auparavant, dans cet appartement, une veuve me demandait de lui tenir compagnie les jours d'orage. Parfois, j'effectuais des courses pour elle. Généreuse, elle me gratifiait de pièces de 25 cents. Au sous-sol, il y avait Michèle, avec sa chatte Puce et son chien dont je ne me souviens plus du nom. Elle m'a permis de ne plus avoir peur des chats et des chiens. Plus tard, elle fut famille d'accueil et hébergea une nouvelle amie Jocelyne.  

Dans cet immeuble, il y a eu les Ouimet, les Gauthier, les Sansoucy. Dans le nôtre, beaucoup de noms. Les Lalande, les Morin, les Michon. Des petites filles chez qui ma soeur trouvait refuge. Pour moi, c'était les Bérubé, les Lemaire, les Pellerin. Des garçons qui ont partagé mes jeux s'amusant à mettre des chardons dans ma chevelure bouclée, à jouer à la cachette, au baseball, au tennis. J'étais plutôt garçon manqué. J'ai toujours dit que j'étais un garçon déguisé en fille.

J'ai eu une petite amie quand j'ai commencé à fréquenter l'école du quartier. Suzanne habitait avec sa mère et sa grand-mère. Son père était mort. Pour aller jouer chez elle, je devais traverser sa cour. Elle avait un chien. Prétextant m'aider pour éviter que le chien me renifle ou se jette sur moi, elle me faisait marcher dans la merde de ce dernier avec mes belles shoeclack blanches. Je rentrais à la maison, en ayant pris la peine de nettoyer mes pieds dans le gazon, me faisant sermonner par maman parce que j'avais mis les pieds dedans. Pas la peine de m'évertuer sur les explications, j'étais fautive.  Cette belle amitié disparut le jour où ma mère ayant écrit un papier pour justifier mon absence avait su que ce dernier ne s'était pas rendu à l'école. La mère de Suzanne ayant une sainte horreur des microbes avait brûlé celui-ci.

Je me trouve privilégiée de me souvenir encore. Les années passent. Elles sont plus nombreuses derrière moi que devant. Je n'oublie pas celle que j'ai été et j'en profite, puisque j'ai encore toutes mes facultés.

Commentaires

  1. J'ai souvenir encore..... de mon village qui m'a vu grandir.De la maison qui fût la mienne pendant 40 ans même si je n'y habitais plus depuis 20 ans. La maison de nos parents reste toujours la nôtre tant qu'on a notre chambre bien à nous et que nos vieux souvenirs y demeurent malgré notre absence.

    Ma rue où les familles Rouleau, Talbot, Pelletier et Jean furent les témoins de ma jeunesse. Cette rue fut pour moi le refuge, la sécurité, le réconfort. Nous étions tous des amis, des complices.

    J'ai souvenir de madame Jules, comme on l'appelait, qui habitait sur la rue voisine et où nous allions quémander des gâteries. Elle nous donnait à chacun un gros biscuit Viau rond tartiné de caramel. A chaque fois que nous allions la voir, nous lui faisions la même demande et elle ne refusait jamais. Un jour, nous lui avons demandé de monter au grenier de sa maison qui contenait différents trésors. Téméraires que nous étions, nous avons ouvert une fenêtre et fait semblant de tomber en bas. Elle était tellement fâchée que ce fût la dernière fois que nous sommes passés la voir.

    Il y avait madame Dubé qui n'aimait pas tellement les enfants. Elle conservait toutes les balles et ballons qui se retrouvaient chez elle par accident. Qu'il y en a eu des chicanes avec elle et la mère de mon amie Nancy. Deux femmes de caractère un peu frustrées qui ne se laissaient pas manger la laine sur le dos.

    Mon amie Hélène qui m'a montré à danser le cha-cha et la samba. Sa mère fût ma marraine de confirmation. Cette femme m'aimait bien. Je vais encore la voir aujourd'hui et c'est toujours une fête quand elle me voit.

    Ma mère faisait des ménages dans tout le village et avant que je commence l'école, elle m'amenait avec elle. Il y avait les vieilles filles Drapeau qui m'adorait. Alice qui était gérante de la Banque Nationale (à l'époque, la banque était à même la maison), m'installait sur un banc et me faisait pitonner sur la grosse caisse enregistreuse juste avant l'ouverture de la banque. Cécile, sa soeur, s'occupait de la maison et prenait soin de leur mère. Elle me gâtait et faisait du linge pour ma poupée.

    Maman travaillait aussi au presbytère. Je me souviens d'un souper ou le curé du village recevait monseigneur et autres hommes d'église. Elle donna un coup de main à la femme du curé (comme on l'appelait). Moi je soupais dans la petite cuisine et quand la petite cloche retentissait, c'était monsieur le curé qui annoncait un nouveau service.

    Que de maisons j'ai faites avec ma mère. Chez madame Soulard où son mari était forgeron. Elle me laissait pianoter sur son beau piano droit. Chez le barbier Ouellet, sa femme n'avait pas une grosse santé et je jouais avec les barbies de sa fille. Chez l'épicier Lafrance où j'avais droit à un chip et une liqueur en après-midi. A la Mercerie Rioux où leur fille Lise m'a appris l'heure et jouait à me faire l'école.

    Ce sont de beaux souvenirs qui me reviennent assez facilement et que je n'oublierai probablement jamais. Ils ont fait de moi ce que je suis devenue aujourd'hui

    Aline Roy

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