LE TABLEAU NOIR- Extrait de Petit pot de biscuits 3
" Elles sont là
devant moi, attendant une réponse. La veille, je les ai révisées avec ma mère
jusqu’à les connaître par cœur. Parlant de mon cœur, il bat à tout rompre dans
ma poitrine. J’ai la gorge nouée, mes yeux s’embrouillent. Je suis paniquée.
Aucun son ne sort de ma bouche, j’entends, sans entendre. Tout ce que je veux,
c’est ne pas être devant mes camarades de classe à me faire interroger par
cette vieille fille qui m’a choisie comme bouc émissaire pour se défouler de
toutes les frustrations dont la vie lui a fait cadeau. Son ton autoritaire, sa
stature imposante et sa voix qui résonne encore dans ma tête après plus de 50
ans. Cette voix a fait tant de dommage
dans ma vie d’apprenante, me paralysant devant chaque équation mathématique. Le
plus ironique, c’est que mon travail m’a menée chaque jour à résoudre des
problèmes.
Le ton
monte : « Ben voyons Ginette, comment cela se fait-il que tu ne saches pas
cela ? ». Elle attend, poursuit la séance d’humiliation. Elle jubile. Moi, j’ai
la trouille. Heureusement, je ne mouille pas mes culottes comme d’autres
petites filles terrorisées par notre furie. Cela, c’est l’humiliation suprême.
Cela témoigne de la peur. C’est de cette peur que notre enseignante se nourrit.
J’imagine que c’est dans l’esprit de donner au suivant qu’elle s’acharne sur de
pauvres petites filles sans défense, elle-même ayant sans doute goûté à la même
médecine.
Je suis toujours
devant ce tableau noir. Je ne vois plus les chiffres, je suis absente. Le
moment présent est trop douloureux. C’est d’ailleurs ce que je ferai le plus
souvent durant toute ma scolarité, m’absenter de mon corps. Devant mon inertie,
elle s’enrage. Elle prend ma tête et la cogne sur le tableau à quelques
reprises en me récitant les multiplications : 2 X 2 = 4, 3 X 3 = 9. Elle lâche
prise, le visage rouge de colère et moi, je retourne à mon pupitre, secouée,
convaincue que je suis une nulle.
Je n’ose pas
parler de cet incident à ma mère, qui, j’en suis persuadée, se rangera du côté
de la furie. Les semaines se suivent et se ressemblent. Elle a trouvé en moi la
victime parfaite. Je suis régulièrement à l’avant servant d’exutoire à sa rage.
Je suis à sa merci et mes résultats scolaires périclitent. Ma mère s’inquiète.
Pour m’aider à atteindre les résultats escomptés, je passe les vacances de Noël
à copier des questions et des réponses en lien avec le cours de géographie..."
L'histoire est tellement bien écrite que j'ai pu ressentir les l'émotions de l'enfant...
RépondreSupprimerWow!
Evelyne
Wow!!! Je n'ai pas ton talent d'écrivain, alors dans mes mots , ré-wow!!!! Tu es bourrée de talent mon amie .
RépondreSupprimerJOsée