Entre l'ombre et la lumière



Si vous suivez l’actualité littéraire, un jeune auteur de 54 ans a fermé trop tôt, le livre de sa vie. Vous l’avez sans doute entendu au printemps dernier à l’émission Tout le monde en parle. Moi, j’ai eu l’opportunité de le rencontrer alors que j’organisais un salon littéraire à la Place Rosemère. J’ai souvenir d’un passionné de littérature, souriant, avenant, heureux de présenter ses œuvres. J’imagine que comme moi, vous avez été impressionné par sa résilience. Mourir dans la dignité demande beaucoup de courage et Simon à n’en point douter, n’en a pas manqué.


Comme j’avance sur le fil de la vie, quelques personnes qui me sont chères ont basculé du côté de la lumière. Pour certaines, la mort les a surpris, pour d’autres, elle les a prévenus. Mais sommes-nous vraiment prêts à franchir le seuil de l’éternité ? Le fait d’accompagner quelques-unes d’entre elles m’a permis de comprendre que cette finalité n’est qu’une étape de la vie.


Mon amie France me manque terriblement. Nourrir son souvenir est ma manière de la garder vivante. Il y a aussi Hélène décédée de la SLA le 5 octobre 2021, date de son anniversaire. C’est ainsi qu’elle a signé son Bye Bye. Pour une épicurienne et jouisseuse des mots, la forme bulbaire de la maladie lui a joué un bien mauvais tour. Au fil des mois, les deuils ont sillonné son quotidien : ne plus manger, ne plus parler, ne plus conduire sa voiture, ne plus marcher, etc. Il était clair qu’elle aurait recours à l’aide médicale à mourir. Cela est une chose de le dire, mais c’en est une autre quand vient le temps de décider du grand départ.


Je me souviens de ce jour en compagnie de la travailleuse sociale, où j’ai dû signer, en tant que témoin, le document officialisant sa démarche. Ses filles autour de la table pleuraient. Je me suis mise en retrait pour absorber ce passage de sa vie. J’ai mouillé quelques mouchoirs. Étrange moment. Elle m’a demandé si je souhaitais être présente le jour de son décès. J’ai décliné. Je n’avais pas ce courage. Je ne l’ai pas eu pour mon père non plus.


Quelques jours avant de mourir, elle m’a téléphoné pour m’offrir son manteau de vison. J’avais déjà celui de ma mère que j’avais fait mettre au goût du jour. J’ai failli dire non et je me suis ravisée. J’ai bien fait, car quand je colle mon nez sur celui-ci, son parfum se distille, je la sens avec moi.


Aux fêtes de 2021, j’ai aperçu ma jeune voisine atteinte d’un cancer incurable dans un fauteuil roulant. Elle tentait tant bien que mal de s’envelopper pour se protéger du froid. Cette image m’a glacé le cœur. Ce jour-là, j’ai écrit à son conjoint pour lui offrir le manteau de vison de mon amie en lui disant que là où elle était approuvait.


Au dernier matin de sa vie, Hélène a voulu célébrer celle-ci. Elle a choisi des draps neufs, l’ambiance était à la fête. On lui a même glissé un peu de champagne dans sa tubulure. Quand je lui ai demandé comment elle se sentait, elle m’a répondu qu’elle avait beaucoup pleuré la veille et que là, elle était sereine et un peu anxieuse. Cette femme n’a jamais manqué de courage, elle a eu celui de mourir dignement. Pour ses filles, ce moment fut troublant. Elles en parlent dans un documentaire intitulé : 5 octobre  qui a été présenté le 12 octobre dernier dans le cadre du Festival du nouveau cinéma.


Récemment, une autre victime de la grande faucheuse s’ajoutait à ma liste de condamnés. Une belle âme résiliente, qui manie les mots de façon admirable pour en faire des chansons. Une voix douce, cristalline que j’ai croisée au bord du fleuve. Un soir de ciel étoilé nous avons parlé de son manuscrit. Le récit d’une battante qui nous entraîne dans les méandres de la chimiothérapie, des rencontres, de la présence animale comme hymne au bonheur. Je conserve précieusement le souvenir de son étreinte alors que j’étais au piano.


Même si mon propos peut vous sembler sombre, ces personnes qui ont croisé ma route me rappellent que vieillir est un privilège. J'ai eu ma part d'ombre, à présent je profite de toutes ces étincelles qui illuminent ma route.


Commentaires

  1. Quel texte magnifique pour un sujet aussi profond écrit avec délicatesse ! Merci de ce partage
    Diane D.

    RépondreSupprimer
  2. Bon matin, Ginette,

    Merci de ce beau témoignage.Il contribuera à nourrir le jardin de mes réflexions.
    Au plaisir d'une belle discussion éventuelle sur ce ténébreux sujet.

    Pierre L

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

La petite fille qui aimait les raisins... et les concombres

Le petit canard qui pédale

Petit pot de biscuits...