Lutte de classe


Êtes-vous de ceux qui lisent un livre jusqu’à la fin, même s’il vous ennuie ?
Longtemps, j’ai été habitée par cette phrase : «  Il faut que tu finisses ce que tu as commencé » dixit ma mère. Je me suis pliée de nombreuses fois à cette supplique. À présent, je m’autorise le droit de fermer un livre si dès les vingt premières pages je n’y trouve pas mon bonheur. Cela m’est arrivé récemment avec Que notre joie demeure de Kev Lambert, pourtant encensé par la critique.

En vieillissant, j’ai une prédilection pour les récits et les essais. Ils m’incitent à réfléchir. Le dernier en lice Rue Duplessis, ma petite noirceur de Jean-Philippe Pleau. 

Mon père est né durant la Crise et ma mère à la Seconde Guerre. L’un dans un milieu rural, l’autre dans un village décimé par la silicose. Tous les deux ont vécu la misère. Pour eux, quand nous étions enfants, l’important c’était que la table soit bien garnie, et que nous ayons de bonnes chaussures. Mon père ne lésinait jamais sur leur prix.

Il avait une sixième année. Ma mère, une neuvième année. Lui, il a travaillé 35 ans chez Hydro-Québec. À sa retraite à 60 ans, il a reçu un diagnostic d’emphysème. Elle, elle n’a jamais travaillé. Son rêve de devenir institutrice s’est envolé avec mon arrivée.

Quand j’étais enfant, le dimanche, nous faisions une balade en voiture arpentant le boulevard Gouin dans sa Dodge Dart, que nous appelions sa Golden Car. Nous admirions les demeures des riches. Ma mère rêvait. À l’époque où l’accès au crédit n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, mon père voulait payer notre maison cash. Nous en avons visité plusieurs. Il est mort dans le logement qu’il a habité pendant 40 ans, mais à sa mort il a fait en sorte que ses filles deviennent propriétaires.

Jean-Philippe Pleau parle de ces randonnées en voiture dans les quartiers chics, de la Dodge Dart de son père, de la toux de ce dernier parce qu’il travaillait avec de l’acier. Je me retrouve dans son récit avec tous ces petits souvenirs. La soirée du hockey où après le bain, le bonheur était de manger des chips collée sur mon père. Que dire de sa parlure qui suscitait les rires de mes camarades de classe quand je les utilisais. Moi, on ne m’appelait pas La Plotte à l’école, mais La Vache. Ce surnom m’a suivi de la cinquième à la septième année. C’est long ! Un jour, j’ai croisé l’initiateur de ce titre, il s’est excusé. Un baume sur mon ego blessé.

Du côté maternel, je suis la seule à avoir fait des études universitaires de deuxième cycle. Ma mère nous disait, à ma sœur et moi, que nous serions avocates et médecins. J’ai finalement abouti en éducation. Mais, si elle n’avait pas insisté pour nous inscrire en première année au privé, à nous faire apprendre le piano, à alimenter notre amour des mots, je ne serais pas devenue ce que je suis, une artiste.

J’ai eu la chance de vivre à Montréal. J’y ai longuement fréquenté la bibliothèque du quartier, mon refuge. Pendant ma vingtaine, j’allais régulièrement au cinéma, au théâtre, au concert. La culture a toujours été importante. Je crois sincèrement que mon intérêt pour les arts m’a permis de m’affranchir.. La petite fille de la rue Port-Royal qui jouait sur la voie ferrée dans un quartier manufacturier sait que les classes sociales existent toujours. Comme le dit Jean-Philippe Pleau : « seule la lutte a cessé ».

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La racine de l'être

J'cours les concours

La petite fille qui aimait les raisins... et les concombres