Liberté 55

C'est l'anniversaire de mon cousin Pierre. Dans la cuisine exiguë, ma tante tient entre ses mains un gâteau avec des bougies. Mes cousins Richard et Michel entonnent le traditionnel "Bonne fête". Les larmes me montent aux yeux, ma gorge se noue. Vite, je me réfugie dans une chambre pour laisser passer l'inondation. Je réalise que chez moi, les anniversaires ne sont pas soulignés.

Pour mes 5 ans, je décide de prendre les choses en main. Je sillonne les rues de mon quartier pour inviter quelques enfants chez moi. Je n'en souffle mot à ma mère sachant que si je lui demande à l'avance, j'essuierai un refus. Je la mets devant de le fait accompli. Mauvaise idée. Ma mère est affairée à laver le plancher de cuisine, comprendre cirer le plancher de cuisine. Les invités ne franchissent pas le perron.  Je me retrouve seule avec pour cadeau une punition parce que je n'ai pas demandé la permission et en prime mes émotions prises dans le gorgoton.

A l'école, en première année, notre professeur souligne les anniversaires en offrant des images saintes glacées. Il nous suffit de lever la main pour signifier le jour de notre anniversaire. La mienne se pointe plus souvent qu'à son tour, car j'adore les images. Un élève m'interpelle devant tous: Quel âge as-tu aujourd'hui ? Je me sens prise en faute et tente de trouver une réponse intelligente. Je suis assez douée pour l'arithmétique mais moins pour les mensonges.

Quand notre anniversaire coïncide avec les vacances des fêtes ou estivales, il arrive que nous soyons oubliés ou que l'anniversaire devienne un deux pour un. Parlez-en à ceux et celles qui sont nés un 24 décembre, un ler janvier ou pendant les vacances de la construction. Les gens sont occupés ailleurs. Maintenant que 55 anniversaires ont défilé, certains plus mémorables que d'autres, je n'attends plus le surprise party que j'ai longtemps désiré. J'ai fait la paix avec la petite fille que j'étais, celle qui craignait d'être oubliée. Changement de perspective, je dirais.

Il me revient en tête les paroles d'un cardiologue que j'avais consulté à l'aube de la cinquantaine aux prises avec une pression qui tiltait. Il me louait la chance que j'avais eu de vivre toutes ces années. Je l'ai trouvé un peu dérangé sur le coup. Nous qui sommes toujours occupés à nous projeter dans le futur, nous ne portons pas attention à ces années qui constituent notre banque de vitalité. A cette époque, j'étais préoccupée par l'échéance de ma vie en regard de celle de ma mère morte à 45 ans. Le OUF de soulagement que j'ai poussé quand j'ai franchi ce cap.

Même si la mort est inéluctable, nous souhaitons tous en retarder la date pour jouir de la vie. Telle est mon intention, chaque jour qui m'est donné. Je crois que c'est là que la réside la véritable liberté. Il m'a sans doute fallu 55 années pour y arriver. Maintenant que j'y suis, j'y reste.  J'aime célébrer les anniversaires, particulièrement ceux de mes enfants, ce jour important qui me rappelle le bonheur que leur présence dans ma vie nourrit. Désormais,mes larmes ont cessé quand les gens chantent " Bonne fête". Il subsiste un filet d'émotion qui ne me chavire plus mais me fait sourire.

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