Au temps des lilas

Jeune citadine, ce temps de l'année était celui des privilégiés. Tous les locataires du quartier enviaient les propriétaires qui avaient le loisir d'humer les fleurs printanières et de voir éclore dans leur cour les premiers bourgeons. Le tout débutait par les jonquilles, le muguet, les iris, les lilas, les pommiers et les pivoines. Le luxe était de couper ces fleurs, de les déposer dans un vase afin de les admirer de plus près, et que, dans la maison se distille un doux parfum.

Toute ma vie, avant de devenir propriétaire, j'ai vécu cette saison par procuration. A l'école mes petites amies offraient à notre institutrice ces fleurs printanières. J'étais un peu envieuse de ne pouvoir le faire. C'était une des réalités des familles ouvrières. Je me consolais en profitant de ce temps où j'avais accès à cette douceur et je me réfugiais dans mes rêveries.

Lorsque j'étais à l'université, une élève a apporté des lilas à notre enseignant. Même émoi, comme si ce temps de l'année était celui de l'offrande et du plaisir partagé. Nous étions une centaine à nous souvenir de nos printemps.

Chaque matin, depuis quelques années, je prends le temps d'admirer ma cour. Tranquillement, mon jardin s'est construit. Des iris ont fleuri, puis le muguet de mon voisin a pris du terrain pour rejoindre le mien. Après mon divorce, j'ai planté des lilas, des pommiers et des pivoines. Je n'ai pas investi dans un aménagement paysager mais j'ai semé petit à petit. C'est là que réside ma satisfaction. Mon jardin me parle de la vie, de ma vie.

Hier, j'ai coupé la première branche de mon lilas et l'ai déposée sur mon bureau. A sa vue, une employée s'est approchée pour mieux la sentir. Quand je lui ai dit que la semaine prochaine, j'apporterais du lilas et du muguet à tout le personnel de soutien, son visage s'est illuminé. C'est une offrande que je fais chaque année, pour le plaisir de tous et du mien. La citadine en moi se souvient.