Maman tricote


J'ai deux ans. Ma grand-mère expose sur le lit les mitaines qu'elle a tricotées pour ses petits-enfants. Une paire pour Michel, une pour Lise, une pour Richard, une pour Serge, une pour Denis, une pour Pierre, une pour Johanne. J'attends en vain que mon nom arrive, mais non, il n'y a pas de mitaines pour moi.

J'ose lui demander: " Pis moi, grand-maman ?" Mais, le mal est fait. Elle me demande de quelle couleur j'aimerais qu'elles soient. J'ai déjà appris à ne pas montrer mes blessures. Je lui réponds: " Laisse faire, ma mère va m'en faire". Ma mère me tricote une belle paire de mitaines rouges et beiges que je présente à ma grand-mère la semaine suivante, en lui disant: " Regarde les belles mitaines que ma mère m'a faites".

Le tricot a toujours été ce qui nous a uni ma mère et moi, de différentes manières. Je me souviens de m'être endormie sous le bruit des aiguilles qui s'agitaient pour me confectionner un chapeau, un cache-cou, des mitaines, des bas. Elle se plaisait dans ce cliquetis d'aiguilles pour le grand bonheur de ma soeur et moi. Le summum c'était quand au petit matin, nous découvrions l'oeuvre terminée, prête à être portée. En ces moments là, notre mère était une fée, une magicienne pour le plus grand bonheur de ses filles.

Quand l'automne se dessinait, elle poussait plus loin les travaux et nous réalisait des chandails que nous portions fièrement lors de nos promenades dans les bois en compagnie de mon père. Ces chandails nous gardaient au chaud tant intérieurement qu'extérieurement, car nous savions le temps, l'attention qu'ils avaient requis et nous étions reconnaissantes de ce privilège. Ce n'était pas toutes les mères qui avaient ce talent.

Je comprends aujourd'hui, que ce temps à tricoter apportait calme, détente et satisfaction à ma mère. Le jour où je lui ai annoncé que j'étais enceinte, elle s'est empressée de tricoter une layette pour l'enfant à venir. Elle était certaine que ce serait un garçon. Elle avait raison. Les belles pièces qu'elle a faites. Un cadeau inestimable, un bel héritage. Il faut savoir que ma mère n'a pas eu ce bonheur lorsqu'elle me portait. J'étais l'enfant du péché, elle était une fille tombée. On ne tricote pas dans ces circonstances. Elle a toujours refusé de me laisser en adoption.

J'ai bien pris soin de ce trésor, de cet héritage, attendant le jour où mes enfants seront à leur tour parents. Ils auront entre leurs mains un peu de cet amour maternel qui se transmets de génération en génération. Oui, ma grand-mère m'aimait, nous étions si nombreux. Elle a juste oublié.

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