Ici et maintenant

Une neige fine tombe. Le jour vient tout juste de glisser vers la nuit. Je reconnais le logo bleu et blanc. Une porte coulissante s'ouvre et se referme avant que la porte intérieure nous autorise l'accès. Les néons sont troublants de mornitude. J'entends les voix, elles sont fortes, ainsi que des bruits de la vaisselle que l'on range. Nous sommes le 31 décembre. J'arpente les couloirs d'une résidence pour personnes âgées, spécialisée dans la non-voyance. J'y suis par procuration. Mon homme de coeur visite sa marraine.

Auparavant, nous avons fait un saut au centre commercial à proximité pour trouver un cadeau à offrir à cette dame de 85 années bien sonnées. Que peut-on offrir à une dame qui ne voit plus, qui pour passer le temps écoute la radio, la musique classique? Le choix s'est posé sur la traditionnelle boîte de chocolats. En fait, la boîte n'était pas nécessaire. Notre présence à elle seule était le plus beau cadeau à offrir à cette octogénaire. 

Dès que nous sommes arrivés à l'étage, une forte odeur familière s'est imposée. À chaque chambre, une photo identifiait le résident. Dans certaines, le plafonnier diffusait une lumière grise. Des plafonds trop hauts, des lits trop étroits. Un homme esseulé regarde passer le temps. Un peu ironique pour des non-voyants. Des décorations de Noël sillonnent notre parcours. Dans une petite salle, des préposés font manger des résidents comme on le fait pour les enfants. Une bouchée à la fois. Ils ne semblent pas être bousculés pour ce faire.

Nous sommes à la porte de la marraine. Je l'aperçois dans sa berceuse, la radio jouant à tue-tête. Elle ne remarque pas notre présence. Le filleul s'adresse à elle, lui demandant si elle reconnaît sa voix. Elle hésite. Un silence qui me semble une éternité. Rien à comparer avec ceux qu'elle entend à longueur de journée quand personne ne vient lui causer. Les sujets de conversation ne fusent pas. Elle s'informe de lui, des siens. Il en fait de même. Il me présente. Elle veut mieux me connaître. Je pose mes mains sur les siennes, elles sont douces.

Ce 31 décembre, la vie m'a donné une grande leçon. Cette femme dans l'acceptation de sa condition, à savoir une vie modulée par l'heure des repas, des soins du corps et des activités de la résidence m'a soudainement rappelé mon appétit de vivre, de me réaliser, de jouir de tous mes sens. En posant mon regard sur sa vie, j'ai constaté qu'il y avait trente années qui nous séparaient et que si la vie avait la générosité de me permettre de vieillir jusqu'à cet âge vénérable, la retraite n'était pas pour demain. Où étais-je il y a 30 ans? Mon aîné n'était pas encore né. Cela m'a semblé si loin. Demain aussi. Alors, ma résolution du Nouvel An vous comprendrez que c'est de vivre ici et maintenant.

Commentaires

  1. J’ai toujours plaisir à te lire, je garde ainsi le contact avec Josée que j’aimais beaucoup.
    Merci d’être là et de quelques fois d’arriver, juste au bon moment avec les bons mots.
    Bonne Année à toi et garde ta créativité si fraîche et enrichissante.
    Agathe

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  2. Ton dernier billet m'a particulièrement touché. Il fait réfléchir au temps qui passe et à ces gestes anodins que l'on oublie trop souvent de poser et qui peuvent s'avérer si importants parfois.
    D'après ce que j'ai lu dernièrement à ton sujet, la vie semble te combler en ce moment. Tant mieux, ça fait du bien parfois de cesser de lutter un peu et de reprendre son souffle.Quoi qu'il en soit je te dis bonne nuit et prends bien soin de toi et de ceux qui t'aiment et que tu aimes.

    G.

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