Le tricycle

Je suis assise écoutant un ami conférencier. Elle intervient. Son visage me semble familier. Quelqu'un croisé au hasard de rendez-vous d'affaires me dis-je. La journée se poursuit, j'accueille le groupe qui prendra l'autobus en direction de mon lieu de travail. Tout juste avant d'embarquer, elle m'interroge, me demande mon nom de famille. Je fais de même. Son nom me revient, mon enfance n'est pas loin.

Sitôt arrivée alors que je fais visiter les nouveaux bureaux de la salle des enseignants, elle me dit haut et fort devant tous:  "Toi, tu étais marginale". Un peu étonnée du propos et surtout sans envie d'étaler ma vie, mon enfance aux yeux de parfaits inconnus, je l'invite à discuter plus tard. Elle ajoute: "Ouais! Tu avais un tricycle avec une chaîne et un panier à l'arrière".

Mon cerveau se met en recherche d'informations sur son disque dur et... je me souviens que ce dernier était l'héritage de ma cousine Lise.  Effectivement, il attirait l'attention et j'apprends qu'il a sans doute fait l'envie du voisinage.

Je la retrouve un peu plus tard. Nous partageons le banc d'autobus qui nous ramène vers l'hôtel. Le fil du temps s'est connecté. Je me suis souvenue des prénoms de ses frères, de sa soeur, de la profession de son père ou presque. Je pensais qu'il était laitier alors qu'il était marchand de glace. Son petit frère Robert, un vrai Denis la petite peste s'enfuyait par la fenêtre de sa chambre lorsque mis en punition. Un jour de pluie alors que j'avais entre les mains deux pintes de lait en verre, il s'est mis à courir derrière moi en me glissant une couleuvre dans le cou. La résultante? Des éclats de vitre, du lait en flaque sur le trottoir et moi, en colère noire.

Elle m'a parlé de sa piscine. À cette époque, cet objet était très convoité des citadins locataires. Je me suis surtout rappelée de celle d'une autre voisine, de la sienne pas du tout. Toutefois, je me souvenais fort bien du cerisier de France où nous nous balancions. Une fois bien en haut, je m'amusais à attraper les beaux fruits rouges. Sa mère était aussi une excellente cuisinière. Côté dessert, elle était imbattable. Elle s'est mise à parler de mon père, de ma mère, de madame Côté, la voisine devenue maîtresse de mon père et de son cheval Banjo. Nous avons évoqué les Pellerin, les Bérubé, les Blondin. De ma soeur, elle n'avait pas souvenance.

Pendant que nous évoquions nos vies, le chemin parcouru, je me suis surprise à constater qu'elle était la seule outre ma soeur à se souvenir de mon enfance. Sentiment très étrange. Un peu comme si notre rencontre était pour me signifier le passage du temps. J'ignore si nos routes se recroiseront. J'ai été heureuse de cette rencontre, de cette fille dont je n'avais pas oublié la date anniversaire, à qui je racontais nos expériences chimiques qui avaient malencontreusement mis le feu au plafond du sous-sol. Bachelière infirmière et moi, directrice d'un centre dédié à la santé. Le hasard existe-t-il vraiment ? En tout cas, il a bien fait les choses.

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