Ti-Marc

La paternité n'était pas une option, mais... une obligation. Comme plusieurs hommes de sa génération, quand une femme était déshonorée, il fallait qu'il y ait réparation. C'est ainsi qu'il est devenu MON père, pas celui qui est aux cieux... non celui qui prit soin de moi sur cette terre. Homme de ressources, de débrouillardise, qui, pour arrondir les fins de mois, allait vendre du cuivre, faisait de menus travaux chez les gens, plaçait les marchandises chez Dominion.

Il était celui qui me rassurait quand je voyais mon ombre se dessiner sur les murs et qu'elle m'effrayait. J'étais de ses tournées. Visite à la propriétaire, à la banque. Assise à l'avant de la Valiant, consciente de vivre des moments privilégiés avec mon père. Je me faisais discrète, je ne bougeais pas. J'observais le monde des grands. J'étais à l'école de la vie. Les dimanches, à la naissance de ma soeur, je partais assister à la messe, ma main dans la sienne. Nous nous installions au jubé et là j'étais transportée une odeur d'encens flottant dans mes souvenirs.

Par la suite, à l'adolescence, les moments en tête-à-tête se sont atténués à l'exception des jours d'école où il terminait tôt et qu'il venait m'y chercher. Je voulais fondre, entrer six pieds sous terre. J'étais une des rares filles dont le père avait cette attention. Au lieu de l'apprécier, cela m'irritait. Aujourd'hui, devenue adulte, je comprends que ce temps était précieux. Je regrette de n'avoir pas su l'apprécier à sa juste valeur.

Avec les années, les moments d'intimité avec nos parents prennent d'autres formes. À la mi-vingtaine, nous avions fait le voyage vers son village natal dont c'était le centenaire. Mon père aimait voyager. Il est celui qui m'a donné le goût de découvrir de nouveaux ailleurs. À chacun de ses voyages, il nous ramenait à ma soeur et moi, des bijoux, nous rappelant ainsi que nous étions toujours dans ses pensées.  Alors qu'il entrevoyait profiter de la vie, à l'aube de sa retraite, il reçut un diagnostic d'emphysème. Fini les voyages, une vie de reclus débutait. Jamais nous ne l'avons entendu se plaindre.

Tout au long de sa vie, mon père a vécu pour ses filles, nous laissant à sa mort, de quoi subsister jusqu'à la saison nouvelle.  C'était aussi un bon vivant, un joueur de tours incomparable et un raconteur né. Il n'est pas étonnant que je sois celle qui aujourd'hui vous raconte. Ti-Marc n'est plus, mais mon père lui demeure toujours vivant.

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