La leçon de piano

J’ai trois ans, je découvre le compagnon de ma vie. De grosses larmes coulent sur mes joues, je suis émerveillée par sa sonorité. C’est le premier grand moment de notre vie à deux. À cinq ans, je suis à ma première leçon chez mademoiselle Cousineau, une vieille dame aux dents jaunies par l’âge. Assise sur un banc tournant, les pieds pendants, je découvre l’essence du clavier. Je dois retrouver tous les do, les ré, les mi... Ce n’était vraiment pas vraiment l’idée que j’avais de la musique. Mais, puisque c’est comme ça, je suis revenue tous les lundis apprendre les rudiments musicaux sous la bonne garde de M. Aaron et les conseils de mademoiselle Cousineau.

De l’école Cousineau, je suis passée à l’école Galipeau et par la suite, j’ai rencontré Madame Glimois. D’origine française, elle a mis beaucoup de lumière et de couleurs dans ma vie aux contours difficiles. Elle a éveillé en moi le goût du voyage. Elle m’a initiée aux prestations devant public. Pour la passation de nos examens au conservatoire, elle nous y menait dans sa Citroën. Imaginez, une Citroën il y a près de cinquante ans, c’était... particulier. Quand on a 9 ans, le conservatoire, c’est impressionnant ! Les grandes salles, les parquets. Grâce à elle, j’ai découvert la culture. Un jour, elle est partie sans laisser d’avis. Quel deuil ! C’était une enseignante hors de l’ordinaire ; elle me laissait aimer la musique au lieu de me l’imposer.

Une aveugle lui a succédé. Changement de professeur, autre méthode. Elle me fit le coup des échelles et des serpents. Elle me ramena à une case antérieure en me faisant reprendre les pièces déjà apprises. Je perdis tout intérêt pour la musique. Cette dame aveugle ne pouvait lire mon désarroi. J’étais en deuil de madame Glimois. Dommage, c’était une excellente enseignante, mais je n’étais pas en état de l’apprécier.

À l’aube de l’adolescence, plus rebelle que jamais, ces changements constants m’ont menée à cesser les leçons de piano. Ma mère outrée m’a alors interdit de jouer toute partition classique. Pensez-vous que je me suis arrêtée là ? Non. J’ai développé mon oreille musicale et joué pour différents publics.

Lors du carnaval d’hiver au secondaire, je fus désignée pour représenter notre classe. J’avais choisi La bohème de Charles Aznavour. Au local étudiant du collège Montmorency, nous étions plusieurs à nous partager l’instrument. C’était le temps de Charlebois, de Véronique Samson, de Beau Dommage. Mes années en milieu communautaire ont donné lieu à plusieurs 5 à 7, dans un petit bar où logeait un vieux piano. J’étais plus à l’aise au clavier pour communiquer mes états d’âme.

Au fil du temps, mes doigts ont caressé de nombreuses touches, dans différents pays. Que de fois, ai-je joué à l’occasion des fêtes pour les milieux où je travaillais. J’ai toujours cru au pouvoir de la musique pour soigner l’âme. Enseigner le piano à des enfants, être bénévole dans une classe de musique, chanter dans une chorale, aller jouer du piano pour les aînés me permet de communiquer mon amour de la musique. Je sais difficilement résister à l’appel de ce magnifique instrument. Il a été mon plus fidèle compagnon, ma plus belle histoire d’amour.

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