Venir au monde

11 septembre1984

Le pape est en visite à Montréal et moi, je dois accoucher d'une journée à l'autre à l'hôpital St-Luc qui est sur l'itinéraire de sa sainteté. Je prie le ciel pour que l'enfant choisisse un autre jour pour son entrée dans le grand monde. Quoique les derniers jours sont assez pénibles. Le sommeil est en dent de scie, ma vessie... je vous en fais fi.

12 septembre 1984

Le pape est retourné chez lui, mon fils tarde à naître. Je prends les choses en main et reviens aux vieux trucs de nos grands-mères. Je lave mes planchers de fond en comble. La maison respire le net. Aux petites heures de la nuit, je sens un liquide chaud glisser sur mes cuisses. Ce sont les eaux qui ont crevé, inondant bien le lit proprement lavé ainsi que le plancher.

13 septembre 1984

La journée la plus longue de ma vie et la plus souffrante aussi. J'appelle mes deux copines qui ont accepté de m'accompagner pour ce grand jour. L'arrivée à l'hôpital se fait vers 3 heures du matin. Le travail a à peine commencé. Des contractions aux 15 minutes. Je suis dans une magnifique chambre des naissance et heureuse. Enfin ! Je vais lui voir la frimousse à ce petit garçon que je berce, à qui je joue du piano et que je caresse. Il est actif, mon ventre se transforme à chacun de ses mouvements. J'ai parfois l'air d'Alien.

La matinée débute, le travail avance doucement mais lentement. Je respire. Puis, tout à coup des cris dans la chambre voisine. Je panique en me disant que dans quelques minutes ou heures, ce sera moi qui s'agiterai ainsi. Je ne puis dire que l'idée me séduit et là, avec toute la force du mental, le travail cesse. Je stagne et débute la ronde des médecins qui viennent évaluer l'état de la dilatation.

Le quart du soir fait son entrée. Le médecin ordonne que l'on active les choses avec le pythocin et demande au stagiaire chinois, car je suis dans un hôpital universitaire, de m'installer le moniteur foetal. Pendant que les contractions se font plus intenses, le stagiaire lit le manuel d'instruction pour l'installation du moniteur. Malgré la douleur, je trouve le moyen de rire avec mes deux copines. 

La douleur s'intensifiant, chassez le naturel il revient au galop, mon impatience s'intensifie également. J'engueule un membre du personnel en lui demandant: Vous êtes qui vous ? Après trois quarts de travail, les étudiants, les médecins, y'en a marre. Puis, le médecin responsable de mon dossier vient m'expliquer l'état de la situation, à savoir que si le travail ne se fait pas, l'option est la césarienne. Et lui aussi, je l'engueule et je lui réponds: Ce n'est pas parce que je ne suis pas intelligente, que je ne comprends pas, mais là, là, j'en ai jusque là. Et pour bien appuyer mon propos, je lui fais signe avec main posée au dessus de ma tête.

Bon, finalement aux alentours de 22 heures, je suis prête pour la grande poussée. Mon médecin est là, elle respire avec moi et me souffle les relents de son repas assaisonné aux oignons. Vite qu'on n'en finisse. Puis, la tête. Mes lunettes sont trop loin et n'ont plus d'importance. Il est là enfin, dans mes bras, ce beau garçon aux cheveux cendrés, bien portant. Il est 23h13. On le lave, on le lange. Ma copine demande si je veux qu'elle me demêle les cheveux, j'hésite et finalement j'accepte. Malgré les tresses pour ne pas les emmêler, elle a mis 30 minutes à me donner une allure respectable. Au sortir de la salle, je croise le médecin que j'ai engueulé. Il me fait son plus sourire et me transmets ses félicitations. Je me sens cheap. Après cette dure journée, j'ai faim. Pour me sustenter, deux biscuits social thé et un jus d'orange. Un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Morphée m'attend ainsi qu'une nouvelle aventure: devenir mère.

11 septembre 2011

Nous sommes réunis pour célébrer cette venue au monde. Nous profitons des derniers relents estivaux, attablés dans le jardin jusqu'à ce que les maringouins se mettent de la fête. Un bel homme, devenu adulte mon fils. Il est loin le temps de sa naissance et pourtant, il me semble que c'était hier.

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