Bens Delicatessen

Vous arrive-t-il parfois de voir resurgir certains souvenirs de façon inopinée ? Moi si. C'est arrivé cette semaine. Je me suis souvenue de mon premier emploi d'été comme étudiante. J'avais eu la chance, lors de la pige annuelle pour les enfants des employés, que mon nom sorte à la loterie de l'emploi. Une chance plus que bienvenue. Mes parents nouvellement séparés, le frigo était souvent moins garni tout comme ma garde-robe.  Nous avions quitté précipitamment le domicile familial emportant avec nous que quelques vêtements de rechange. Nous vivions comme des sinistrées. Tout était à reconstruire.

Cet été-là, j'avais acheté un ensemble deux pièces pour faire bonne impression au travail. J'avais été affectée aux comptes payables. Mon supérieur immédiat, un homme chaleureux, bon père de famille, m'avait pris sous son aile. Même aujourd'hui quand je ferme les yeux, j'entends la voix de Monsieur Millette, je revois ses yeux rieurs et son sourire au coin des lèvres. Nous étions quatre dans son service. Celle qui occupait le bureau d'en face était moins accueillante et très exigeante. La vie lui avait fait mal. La jeune trentaine elle était devenue veuve. Je n'avais aucun droit à l'erreur. L'autre personne qui partageait notre espace de travail était une grande femme exubérante,  dont les maquillages et les lunettes faisaient jaser. Son rire était communicatif.

Je considère avoir été choyée tout au cours de ces deux mois d'été. L'heure de la pause était annoncée par la cloche de la cantine. A cette époque j'avais un faible pour les smarties que j'accompagnais d'un jus d'orange. Mes collations faisaient bien sourire mes nouveaux collègues de travail, surtout que je gardais les rouge pour la fin et les partageaient avec eux.  N'étant pas la seule progéniture à avoir été choisie pour un emploi d'été, je me suis liée d'amitié avec Bernard. Nous avions eu l'occasion de nous rencontrer lors de l'activité d'accueil et partagions nos dîners à la cafétéria de l'employeur.

Nous avons développé une belle complicité. Sa présence mettait du soleil dans ma vie. Il  vivait dans l'aisance chez ses parents. Bien qu'il savait que mes parents étaient récemment séparés, il ignorait les conditions de vie qui étaient les miennes. Durant cette période, chaque soir après le travail, nous nous donnions rendez-vous chez Bens Delicatessen. Toujours la même table en bordure de la fenêtre. Toujours la même serveuse. Un coke pour lui et une limonade pour moi avec une cerise. Au fil du temps, la serveuse s'est mise à ajouter une cerise, puis une autre. Ces moments passés chez Bens Délicatessen, avec les cerises pour me réconforter et l'écoute attentive de Bernard me donnaient le courage de retourner chez moi, affronter la désolation.

Quand la fin de l'été est arrivée, j'ai quitté ce premier emploi où j'ai beaucoup reçu. Ma dernière journée, à l'heure de la pause, j'ai vu défiler à mon bureau tout le personnel de l'étage qui tour à tour est venu me dire au revoir en me remettant une boite de smarties.  A la fin de la journée, j'avais le coeur serré, sachant que c'était aussi ma dernière limonade.  Nous nous sommes promis de rester en contact. Un jour par hasard, j'ai revu Bernard dans le métro, nous étions tous les deux à l'université. Chacun avait sa vie, j'étais en couple. Lorsqu'on a annoncé la fermeture de Bens Délicatessen, je me suis souvenue qu'une partie de ma vie s'était écrite sur cette banquette en bordure de la fenêtre. Combien d'autres comme moi se sont souvenus ?

Commentaires

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  2. Merci de partager ces précieux moments avec tes amies. Tu m'as rappelé mon premier emploi à 15 ans chez Macy's au terminus voyageur à Berri de Montigny. De plus, Bens fait partie de nos souvenirs de jeunesse. Gros bisous. Au plaisir de te revoir sous peu

    Diane C.

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