Caméra cachée

Qui n'a pas eu un jour une contravention pour un stationnement en zone interdite, un arrêt non effectué, un virage non autorisé ? Ceux qui me fréquentent connaissent ma nature distraite. Au volant de mon bolide, parfois je fais le vide. Les quelques fois où les gyrophares m'ont suivie, j'ai souvent pensé qu'ils ne m'étaient pas adressés.

Ainsi un jour...en fait, un beau matin printanier, je suis en route vers Val David, je dois y rencontrer un client. Je roule dans ma chic Cavalier. Ce n'est pas l'heure de pointe et je ne fais pas d'excès de vitesse. Voilà pour les précisions. Je suis dans la troisième voie et il y a un véhicule devant moi que je suis à une distance raisonnable. Dans ma tête, je prépare ma rencontre avec mon client.  Aux alentours de St-Jérome, là où une affiche nous indique qu'un poste de la SQ est à proximité, je suis interpellée par le conducteur d'une camionnette blanche.

Boucle d'oreille à l'oreille, cigarette au bec avec la couette il me lance: " J'y ai dit à la police que tu me suivais de trop près, a va te donner un ticket". J'ignore de quoi il me parle, je n'ai pas souvenir d'avoir fait d'appel de phares, ni d'avoir collé son véhicule de près. J'ai envie de lui dire que cela ne va pas la tête, mais je m'abstiens, nous ne savons plus très bien à qui nous avons affaire sur nos routes.

Je feins de l'ignorer. Je poursuis ma route quand j'aperçois dans mon rétroviseur des gyrophares. Cette fois, nul doute, c'est pour moi. Ah non ! Ce n'est pas vrai. Je fouille dans mon sac à main, et pour la première et unique fois de toute ma vie, je n'ai pas mes enregistrements. J'ai changé de sac à main et je me maudis de mon étourderie. Je vois déjà l'addition des contraventions. Voilà une journée qui va me coûter cher. J'ai l'idée de présenter ma carte d'affaires au lieu du permis. Une fille s'essaye.

Le policier se présente à ma voiture, me demandant mes papiers. Il m'explique qu'il a reçu un appel d'un automobiliste qui trouvait que je le suivais de trop près. Il me demande d'où je viens, où je vais. Je lui dis que je roulais normalement. Je lui tends ma carte d'affaires lui expliquant le changement de sac à main. Il a dû l'entendre maintes et maintes fois.  Il retourne à son véhicule pour faire les vérifications. Je bouille littéralement. Je pense à mon client qui m'attend, à ce con qui n'a rien d'autre à faire que de faire coincer un concitoyen. Il me semble qu'il y a assez quand la police s'y met, sans en rajouter. Perdue dans mes récriminations, le policier revient et me dit que leur ordinateur est en panne. Il ajoute que s'il découvre que j'ai un dossier, je recevrai des nouvelles.

La pression baisse d'un cran. J'ai alors le culot de lui dire: "Est-ce qu'il y en a beaucoup de sautés qui vous téléphonent pour dire qu'ils sont suivis de trop près". Et l'agent de police me rappele les règles de sécurité routière quant à la distance à laquelle nous devons nous tenir lorsqu'un véhicule nous précède. Merci monsieur l'agent, comme si je ne le savais pas.

Tout me semble irréel. Je pense que je suis à Caméra cachée. Le temps de reprendre mes esprits et de me regarder, je constate que ma voiture est dans un fouillis total. J'ai la jupe bien retroussée mettant mes jambes en valeur. Le chemisier transparent que je cachais sous un veston est on ne peut plus en évidence, ayant eu chaud dans ces quelques minutes qui m'ont paru une éternité,  j'ai ouvert ce dernier. Je remets tout en place, en me disant quelle sacrée matinée ! Je n'ai jamais eu d'autres nouvelles. Maintenant, quand j'aperçois des gyrophares, je chante: Bonjour la police !