Le rendez-vous

Elle était assise de biais avec moi, vêtue d'un chandail moulant, décolleté en V qui faisait ressortir le vert de ses yeux. À son cou reposait une chaîne délicate en harmonie avec la finesse de son ossature. Elle avait mis une jupe fendue sur le côté, très ajustée, taille haute, accompagnée d'une ceinture à boucle. Escarpins ouverts sur le devant avec un bas fin complétaient sa tenue. Une ligne de eye-liner pour souligner l'iris de ses yeux, un peu de gloss, les cheveux retenus pour dégager la nuque. Une belle jeune femme début vingtaine.

À voir le souci mis à sa tenue vestimentaire et au regard langoureux qu'elle lui adressait, il m'apparaissait qu'il s'agissait d'un premier rendez-vous. Lui, style un peu égo-centro, avait peu d'attention à son égard. Je l'ai entendu choisir le vin pour les deux sans la consulter. Pendant le spectacle, les yeux fermés en totalité, il n'a pas daigné les ouvrir même quand les plats sont arrivés. Elle le fixait, espérant un regard qui ne vint jamais. Voyant son désarroi, j'ai osé poser mon petit doigt sur le bras de monsieur pour le sortir de sa transe et lui faire voir que son repas l'attendait. La chanteuse aussi s'est faite complice. Le premier set terminé, monsieur s'est eclipsé je ne sais où. Pendant ce temps, elle attendait et a dénoué ses cheveux. Au retour, il a pris son cellulaire, ne lui accordant pas ou peu d'attention. Elle s'est levée pour se rendre au WC. Une longue absence où j'ai imaginé qu'elle était allée sécher ses pleurs.

Je n'ai pu m'empêcher de penser au soin que les hommes et les femmes portent à un premier rendez-vous, et ce, quel que soit l'âge. Voulant être désirés, nous nous parons de nos plus beaux atours. Pour les femmes, de nombreux essais ont lieu avant de choisir enfin la tenue. Tout y passe, les sous-vêtements, le parfum, le maquillage, la coiffure, les bijoux, les chaussures. Pour les hommes, le temps de préparation est sans doute moins long, si on oublie le maquillage et le souci du détail moins présent.

Pendant que je l'observais, une scène m'est revenue. Alors que j'avais dans la vingtaine, un homme d'origine italienne m'avait invitée dans un restaurant où l'on servait la cuisine de son pays. Le décor était kitch. La table où nous nous apprêtions à manger avait 6 pieds de longueur par 3 pieds de largeur, ce qui vous vous en douterez a créé une certaine distance entre nous. Un candélabre occupait la moitié de la table. Je n'ai pas une voix très forte alors le repas qui s'annonçait romantique est devenu catastrophique.

J'avais bien soigné ma tenue, mais voyant le comique de la situation, j'ai eu beaucoup de difficultés à étouffer mes fous rires, d'autant plus que les plaisirs de bacchus m'étaient inconnus. Pour ajouter à la scène, j'ai dégusté pour la première fois des escargots qui... vous avez deviné étaient encore dans leurs coques. Je ne vous parlerai de la tête de mon italien quand il m'a raccompagnée. Le téléphone fut silencieux quelques jours. Il a de nouveau sonné, cette fois une soirée entre amis avec au menu du homard. Un souper arrosé où le beurre à l'ail a nécessité un retour illico presto à la maison. Fin de l'histoire.

Aussi, quand je pense à ma belle inconnue d'hier, j'ai envie de lui dire que d'autres rendez-vous viendront, qu'un homme attentif sera sensible au soin déployé à ce premier tête-à-tête. Rien ne me désespère plus que de voir un couple attablé au restaurant l'un à lire le journal devant l'autre ou encore à consulter son portable. Il me semble qu'un repas au resto devrait être empreint de l'attention envers l'autre. Parler n'est pas toujours nécessaire. Un regard complice peut faire très bien l'affaire. En fait, il s'agit de la présence à l'autre.

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