65 ans plus loin
J'ai rendez-vous avec elle à 14h. Nous sommes un peu à l'avance. Bien que je connaisse son nom de jeune fille et de femme mariée, je mets un certain temps à repérer le numéro de l'appartement. Une résidente vient nous ouvrir. Nous cherchons le préposé à l'accueil. C'est lui, qui nous dit:vous cherchez quelqu'un? Oui et je nomme son nom. Ils sont tous deux à la porte de l'ascenseur, nous montons avec eux.
Elle m'avait avisée qu'elle se déplaçait difficilement suite à un AVC. Je ne suis pas en pays inconnu avec la chaise roulante, la marchette, le bain et la toilette adaptée. Ma réalité professionnelle rencontre ma réalité personnelle. Elle a la gentillesse de me recevoir, moi la petite fille de sa tante Johanna. Elle s'étonne du comment j'ai réussi à obtenir ses coordonnées. Je lui explique, Facebook, une nièce qui a répondu à ma demande et m'a transmis son numéro de téléphone. Elle me parle du directory. Cela me fait sourire, il y a longtemps que je n'avais entendu ce mot.
Je l'ai contacté car je voulais connaître davantage l'histoire de ma grand-mère. En faisant des recherches sur la généalogie familiale j'ai réussi à retracer les soeurs de celle-ci. Je voulais valider la véracité de nos origines amérindiennes, ce qu'elle m'a confirmé. J'ai appris que mon arrière-grand-mère était décédée subitement en assistant à une noce. Mon arrière-grand-père, s'étant remarié, n'a pas voulu s'embarrasser de la marmaille. Ainsi, ma grand-mère et sa sœur Rose-Anna se sont vues contraintes au mariage tout en recueillant les cadettes.
Elle m'a parlé de sa vie, du décès de son père à l'âge de 13 ans. Ce n'est que plus tard, lorsqu'elle m'a parlé de sa tante Yvonne devenue veuve tout comme ma grand-mère en 1942 que j'ai réalisé le veuvage des 3 sœurs la même année. La vie qui prend un nouveau tournant. Pour sa mère, Rose-Anna et elle, ce fut le travail au Plan Bouchard, là où j'habite depuis 25 ans. Les routes se croisent, elle y a habité. Sa mère se remarie. Elle rencontre son mari, celui qui partage sa vie depuis 65 ans.
Une vie de labeur. Elle, 85 ans, travailleuse à la Commonwealth Plywood, fermière, adjointe au bureau postal. Lui, 91 ans,propriétaire d'une ferme, d'un autobus, homme à tout faire, il conduit toujours sa voiture et craint de perdre son permis. Leur fierté, trois fils qui ont réussi dans la vie: chimiste, ingénieur, cadre au gouvernement fédéral. Chaque dimanche, ils vont dîner à Montpellier, car c'est facile d'accès notamment pour les toilettes. Sans lui, elle serait en centre d'accueil. Le quotidien est ponctué par tous ses gestes qui requièrent attention: se vêtir, manger et se divertir. Vieillir c'est faire le deuil au quotidien de son autonomie. 65 ans bientôt de vie maritale, pour le meilleur et pour le pire. Elle est prête à partir. Leur souhait partir ensemble. J'espère de tout cœur qu'ils seront entendus.
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